13 décembre 2005

Sans-abri, sans-logis, sans domicile fixe...

Dans son échauffourée avec les policiers, Rémi a perdu sa cuillère à crack pis un soulier. En fait, c'est plus un bottillon doublé qu'un soulier. J'l'ai ramassé. Personne ne m'a vu. Ce sera plus chaud que ce que j'ai dans les pieds. L'idéal, sans souhaiter de mal à Rémi, ç'aurait été qu'il perde ses deux bottillons; j'aurais enfin réglé mon problème de gel de pied. Lui, il n'en aura plus besoin, il devrait être en dedans pour un bout de temps.

Rémi, c'est pas un mauvais gars. Il crie fort, sacre, traite les gens de mous, de voleurs, il dit des bêtises pour faire peur aux autres, en fait, c'est plus pour cacher sa propre peur. Ce que je trouve triste, c'est toute la dope qu'il prend. Ça le rend fou, agressif, dépressif, ça le métamorphose. Ça doit faire au moins une quinzaine de fois qu’il s’fait ramasser par la police à cause de ses embrouilles dérangeantes.

Me v'là rendu avec deux souliers différents. Un bottillon pis un soulier. J’me fous ben de l’esthétique. C’est l’efficacité qui importe. Maintenant, j’vais avoir froid à un seul pied.

Faut dire que mardi soir, j'ai été obligé de m'arracher deux ongles d'orteil; ils ne tenaient que grâce à mes chaussettes. Ils dégageaient une odeur de putréfaction, j'avais peur de perdre les orteils protégés par ces ongles. Ils commençaient à pourrir, en enlevant les ongles et en les arrosant d'un peu d'alcool et d'eau chaude, je crois les avoir sauvés. Ça m’a fait mal, j’ai hurlé dans ma tête, pour ne pas alerter les requins. Oui, entre nous, on est des requins, des requins solidaires; les problèmes des uns deviennent la solution des autres. Comme le bottillon de Rémi. Mais s’il y en a un de vraiment mal pris, on l’amène dans un refuge, à la soupe populaire, ou bien on partage le peu qu’on a.

Les journées de décembre sont longues et froides. Le plus difficile, ce sont les nuits. Je me suis trouvé un petit coin, que je garde secret, précieusement, afin de ne pas me le faire chiper par un plus jeune, un costaud. C'est une sortie d'air du métro; l'air sent le caoutchouc brûlé, mes vêtements en sont imprégnés, mais on ne crache pas sur la chaleur, on prend ce qui passe, ça garantit le prolongement des battements de cœur.

Aujourd'hui, ça été une journée chanceuse. Un jeune policier, qui patrouille tous les jours dans le coin, m'a donné son reste de sandwich, pis une bouteille d'eau, à moitié pleine, en me faisant un sourire, discret. Lorsqu'il patrouille avec un autre, il me parle plutôt durement, ou il m'ignore. C'est drôle comme parfois les gens peuvent être gênés d'être humain.

Il y a eu aussi cette vieille dame qui m'a donné dix dollars, avec une poignée de monnaie, ce qui m'a fait en tout 16.38 $. Elle m'a dit, en me regardant d'un air sévère d'ancienne maîtresse d'école : «T'as besoin de pas t'acheter de boisson avec ça! ». J'ai fait exactement le contraire. Je me suis payé un p'tit flacon d'alcool, que je me suis empressé de transvider, dans ma plus grosse bouteille, celle dans laquelle je mets tout ce que je trouve de liquide, eau y compris. Cet alcool, je l'économise pour ce soir, avant de me coucher, ça me réchauffe. Je vais m’en servir aussi pour soigner mes orteils. Le danger de trop bien dormir pourrait permettre aux autres de profiter de mon lourd sommeil pour me battre, prendre mes choses. C’est la seule raison de bagarre entre nous, les biens nécessaires à la survie.

Bagarre égale survie.

Chaque jour qui se lève, avec ou sans soleil, est une bagarre pour ma survie...

À suivre le 20 décembre...

Lo x

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