Texte d’Éric Lefrançois
Il y a quelques années, je suis revenu du paradis... de la circulation urbaine. Je veux parler du Japon. Dieu sait que je n'ai jamais eu envie de me rendre dans ce pays du bout de la planète. J'imaginais alors une fourmilière, un maelström d'embouteillages, des voies aériennes obstruant l'horizon, une pollution de fin du monde. Une vision digne des pires films de science-fiction. Pensez donc: quelque 128 millions d'habitants entassés sur un territoire nettement plus petit que le Québec, achetant chaque année six millions de véhicules (20 fois plus que nous!), ça ne pouvait pas être vivable. Un a priori ridicule qu'a balayé un séjour dans l'archipel nippon.
C'est vrai, le Japon est surpeuplé, la circulation intense, les autoroutes congestionnées. La rareté de l'espace limite ces dernières à la portion congrue: deux voies, pas de bande d'urgence. Pour un déplacement au long cours, sur autoroute, un automobiliste japonais table sur une moyenne horaire de 70 km/h... Mais en ville, même au coeur de Tokyo, la circulation s'écoule à rythme constant et paisible. Cela tient sans doute au fait que les rues sont entièrement consacrées au trafic des automobiles et non pas à leur stationnement - comme chez nous où nous prenons parfois la voie publique pour un parking. Là bas, pas de voiture en double file, pas de taxi s'arrêtant au milieu du flot, pas de camion déchargeant n'importe où.
Pour parvenir à cette fluidité, les autorités japonaises ont imposé des mesures draconiennes: vous ne pouvez pas acheter une voiture de plus de 3,40 mètres sans justifier au préalable que vous disposez d'une place de stationnement privé où la garer. Ce qui explique la floraison de «midgets», ces modèles de petit gabarit propulsés par des moteurs de 650 cm3 peu gourmands et faiblement polluants. Il s'en vend, au Japon, plus de deux millions par année. N'en déduisez pas que les Japonais s'entassent tous dans des boîtes à roulettes exiguës. Eux aussi apprécient les berlines et les VUS. Détail significatif, ils en prennent tellement soin et respectent si bien les autos des autres qu'ils les truffent de rétroviseurs leur permettant de se faufiler et de se garer au millimètre près. Les lunettes arrière de leurs plus gros engins sont équipées d'un miroir caréné qui autorise une vision précise du pare-chocs arrière. J'ai circulé dans un autobus qui arborait pas moins de huit rétroviseurs (quatre de chaque côté) offrant à son conducteur une vision parfaite de l'encombrement de son véhicule.
Autre sujet d'admiration, le comportement des Japonais au volant. Pas un conducteur n'essaie de s'infiltrer devant le capot d'un autre pour grignoter une place. Pas un ne force le passage à un carrefour. Pas de coup de klaxon agressif, de «mauvais doigt» en l'air, ni de téléphone à l'oreille. Mieux encore: les piétons y sont aussi disciplinés que les automobilistes. Attendant sagement le signal du feu vert, ils traversent sur des passages cloutés à sens unique: un flot à l'aller sur les bandes fléchées de droite, un flot au retour sur celles de gauche. L'ensemble constitue un vrai miracle de fluidité, fruit d'une discipline et d'un respect d'autrui inconnus chez nous. Pas drôle? Je le concède. Mais il faudra bien que nous tirions un jour la leçon d'un tel exemple. Car partout, au Québec compris, la circulation urbaine empire un peu plus chaque année. Le lendemain de mon retour, je m'en souviens très bien, j'ai vu deux hommes s'agresser physiquement pour un refus de priorité. Et quelques jours plus tard, un chauffeur d'autobus a manqué de m'écraser sous prétexte que «je n'avais rien à faire dans un couloir réservé». Ce jour-là, je me suis mis à regretter de ne pas être Japonais.
P.-S. : Intéressant n'est-ce-pas?
Lo x
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